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Florence Chevalier. Celle que je croyais être (2013), éditions Valentina. Tous droits réservés. Chapitres 1 à 4

Vendredi 21 décembre

 

 

1

 

Après avoir fermé la porte de l’appartement où je vis avec mes parents, je descends l’escalier au rythme de ma nouvelle chanson préférée.

« Je ne suis pas celle que tu crois,

Ne te fie pas à ce que tu vois. Â»

Je vais avoir le refrain dans la tête toute la journée, mais ça m’est égal. Ce morceau est le premier single de Mélodie Grandcœur. Hier soir, je suis allée chez ma meilleure amie Bérénice, et nous l’avons téléchargé aussitôt qu’il a été disponible à la vente. Nous l’attendions depuis plus de six mois, depuis la victoire de Mélodie au concours télévisé le plus populaire du pays, Dénicheur de Talents. Elle a été notre candidate préférée dès le départ, et pendant les douze semaines où a été diffusée l’émission.

Au palier inférieur, j’aperçois Corinne en train de fouiller dans son sac à main. Tout en retirant mes écouteurs, je m’arrête pour la saluer.

— Bonjour, comment vas-tu aujourd’hui ?

Elle est ma voisine depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, et je l’apprécie beaucoup. Quand j’ai un moment de libre, je vais souvent sonner à sa porte, je suis toujours la bienvenue. Elle travaille à domicile en tant que correctrice dans l’édition. Apparemment, même les plus grands auteurs ont besoin d’aide pour éviter les fautes d’orthographe.

— Très bien, Violette, me dit-elle en sortant un trousseau de clés. Tu pars pour le lycée ?

— Oui.

— C’est la dernière journée avant les vacances ?

Je le lui confirme d’un hochement de tête.

— C’est la même chose pour Lucas, précise-t-elle.

Le fils de Corinne, qui a deux ans de plus que moi, est à la fac en province. Il vit là-bas en résidence universitaire, et je sais qu’il n’est pas rentré depuis septembre.

— Il revient bientôt ?

Une ombre passe dans son regard bleu clair, j’anticipe sa réponse.

— J’aimerais bien, mais un de ses amis l’a invité à passer les fêtes dans les Alpes, dans un chalet qui appartient à sa famille. Lucas me dit qu’il hésite encore à y aller, mais je crois que sa décision est déjà prise.

S’il ne rentre pas, ça signifie que Corinne va passer le réveillon toute seule… C’est quelque chose que je n’arrive pas à concevoir.

— Je ne vais pas te retarder, ajoute-t-elle. Passe une bonne journée.

— Toi aussi.

Il faut à tout prix que je demande à mes parents de la convier à notre dîner du 24 décembre.

 

2

 

Dans la rue, je débute mon itinéraire pour rejoindre le lycée. Je ne dois pas perdre de temps, car je suis en retard par rapport à d’habitude.

Cette nuit, la neige a tout recouvert d’une épaisse couche blanche. J’adore cette ambiance feutrée : pour une fois, Noël ressemblera vraiment à ce que Noël doit être selon moi. Pourtant, je dois redoubler de vigilance ; j’ai déjà fait plusieurs chutes dans des conditions similaires.

À une centaine de mètres de l’école primaire, je traverse au feu vert. Alors que je remonte sur le trottoir, une femme avec un long manteau corail m’accoste.

— Excusez-moi, mademoiselle.

Elle tient par la main une fillette d’environ huit ans avec des tresses et des cache-oreilles en fausse fourrure mauve.

Je prie pour qu’elle ne me demande pas son chemin. J’ai beau avoir toujours habité ici, dans cette ville de la banlieue parisienne, ce n’est pas pour autant que j’ai retenu le nom de toutes les rues.

— Est-ce que je pourrais prendre une photo de vous avec ma fille ? poursuit-elle en brandissant son téléphone portable.

Étonnée, déconcertée même, je mets quelques secondes à réagir. Une blague… on est certainement en train de me faire une blague.

Après avoir de nouveau enlevé mes écouteurs, je l’interroge :

— C’est une caméra cachée ?

En scrutant les alentours, je n’aperçois rien de particulier. Ni dans les platanes qui bordent l’avenue, ni sur les panneaux de signalisation. Peut-être dans la camionnette aux vitres teintées garée près du ralentisseur… Les objectifs sont sûrement bien dissimulés.

La femme fronce les sourcils.

— Non, c’est juste pour une photo. Sophie est l’une de vos plus grandes fans.

Je dois reconnaître qu’elle est convaincante.

— Je n’ai pas envie de passer dans l’émission. Il me semble que vous ne pouvez pas utiliser mon image sans mon accord.

Si mes souvenirs sont exacts, ça s’appelle le droit à l’image.

Devant mon refus, la dénommée Sophie a les larmes aux yeux. Je suis impressionnée par ses talents d’improvisation. Malgré son jeune âge, la petite est déjà très bonne actrice.

— Vous étiez bien plus sympathique à la télévision, conclut « la maman Â».

Soulagée que l’incident soit terminé, je les regarde s’éloigner.

— Encore une qui a pris la grosse tête, crache la femme en posant une main consolatrice sur l’épaule de sa supposée fille.

Ou peut-être que c’est effectivement sa fille. Après tout, aussi étrange que ça puisse paraître, elles m’ont peut-être prise pour une célébrité. Je me demande bien qui…

Une mèche de cheveux tombe devant mes yeux, et je la remets en place. Je remarque qu’un petit groupe de passants s’est agglutiné. Il s’agit de jeunes qui ont à peu près mon âge. Il y en a d’ailleurs plusieurs que je connais, notamment une fille. C’est une brune toujours habillée à la dernière mode.

Je ne comprends pas pourquoi ils continuent à m’observer. Tandis que je m’apprête à repartir, celle que j’ai déjà vue, Céline… non, Cécile, s’approche de moi.

— Vous pouvez me signer un autographe ?

Agacée, je lui rétorque du tac au tac :

— Ce n’est plus du tout drôle, je…

Je m’interromps, prise d’un énorme doute. Il y a à peine une minute, j’ai aperçu mes cheveux et ceux-ci n’étaient pas… Il faut absolument que je vérifie un détail.

Blonds ! Même si mes parents sont blonds, moi, j’ai toujours eu les cheveux châtain foncé. Du moins, ils l’étaient encore quand je me suis regardée dans le miroir pour me coiffer il y a une demi-heure.

— Qui crois-tu que je suis ?

Cécile, elle aussi, fronce les sourcils.

— Ben… Mélodie GrandcÅ“ur, répond-elle comme si c’était une évidence. Si vous me dites que je me trompe, je ne vous croirai pas. J’ai votre poster grandeur nature dans ma chambre, alors je sais très bien que c’est vous.

Elle me prend pour Mélodie ! Ce n’est pas possible ! Moi aussi, j’ai le poster à taille réelle de Mélodie, et je suis certaine d’une chose : je ne lui ressemble pas du tout.

Je suis en train de rêver. Pas de problème, je vais me réveiller. Enfin j’espère que je vais me réveiller, car j’attends… et le moment ne vient pas.

— Alors, je peux l’avoir cet autographe ? insiste Cécile.

Il est apparemment inutile que j’essaie de la convaincre que je ne suis pas celle qu’elle croit. Je suis sous le choc et, quand elle me met un stylo à bille dans la main et qu’elle place un cahier sous la pointe, je griffonne une signature, comme sur pilote automatique.

Murmurant un « Mes copines vont être vertes de jalousie Â», Cécile s’éloigne à son tour. Elle, au contraire de la petite fille que j’ai fait sangloter, ne semble avoir nul besoin d’être réconfortée.

Je me rends compte que d’autres, de plus en plus nombreux, sont aussi désireux d’obtenir leurs autographes. Pourquoi mon réveil ne sonne-t-il pas ? En temps normal, je déteste son bip strident, mais là, j’adorerais l’entendre.

Ma montre affiche 8 h 25. Si je ne me dépêche pas, je vais réellement être en retard.

Je pense tout haut :

— Il faut que j’y aille !

Un garçon qui mesure au moins deux têtes de plus que moi s’avance.

— Oh non ! Moi aussi, je veux un autographe.

Je ne suis pas rassurée. Alors que d’autres répètent la même tirade, ma peur augmente, mon malaise tourne à la panique. Je suis la proie dont une meute de loups veut se repaître. Ce n’est pas possible !

Lorsque mon instinct de survie prend le dessus, je me mets à courir, aussi vite que je peux. Mes bottes s’enfoncent à chaque foulée dans la neige, mon allure me paraît calquer sur celle d’un escargot. Ce n’est pas possible ! Non, ce n’est pas possible !

Au coin de la rue, je jette un rapide coup d’œil en arrière pour voir si on me suit. Malheureusement, c’est le cas, alors je continue ma course tant bien que mal. Comment vais-je faire pour leur échapper ?

J’aperçois le photomaton à l’entrée de la supérette du quartier et, en moins d’une seconde, je décide que c’est ma meilleure option. Je pique un nouveau sprint et, aussitôt arrivée devant, je m’engouffre dans la cabine, tire le rideau et m’assois sur le siège.

J’entends des voix, des pas se rapprocher, et je me retiens pour ne pas sortir. Pour me calmer, je me force à prendre de profondes inspirations. Et si je n’avais pas choisi la bonne cachette ?

Une minute a passé. Peut-être aurais-je dû les signer, ces fichus autographes ! Ils auraient fini par me laisser tranquille.

Cela fait maintenant deux minutes. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Aussi incroyable que ça soit, je dois me rendre à l’évidence : je ne comprends pas comment, mais je me suis « métamorphosée Â» en Mélodie GrandcÅ“ur. Pourvu que cette transformation ne soit que temporaire.

Trois minutes se sont écoulées. Je n’ose pas revérifier la couleur de mes cheveux, même si je sais que je devrais.

Au bout de cinq minutes, il faut que j’en aie le cÅ“ur net. Je me lance… Châtain foncé ! Ouf !

J’ouvre le rideau et remarque un vieil homme à quelques mètres. Traînant son cabas à roulettes, il entre dans le magasin, sans m’accorder un regard. À part ça, rien à signaler. Alors je sors du photomaton.

Il est maintenant 8 h 30, les cours viennent de débuter. Je reprends ma route vers le lycée.

Ayant besoin de m’assurer que je suis bien moi, je m’arrête un instant devant un rétroviseur. C’est bien mon propre reflet, ouf !

— Excusez-moi, mais est-ce que je pourrais accéder à mon véhicule ?

Je sursaute. Un homme avec une cravate à pois et un attaché-case, probablement le propriétaire de la voiture, pose sa main libre sur sa hanche.

— Désolée, je murmure en m’écartant.

Il doit croire que je suis du genre à m’observer dans la glace à longueur de journée. Bien que je me sente rougir jusqu’aux oreilles, mon soulagement dépasse mon embarras.

 

3

 

Lorsque j’arrive enfin au lycée, je sonne à l’interphone. Dès que j’entends décrocher, je commence à m’expliquer sur mon retard, mais le gardien actionne aussitôt l’ouverture de la grille. Il doit être trop blasé pour feindre un quelconque intérêt face aux excuses des élèves.

Je retire la neige collée à mes chaussures sur le grand paillasson de l’entrée, puis je me dirige vers le bureau de la conseillère principale d’éducation, alias la CPE. C’est une situation inédite pour moi, mais je connais la procédure : si je veux pouvoir assister à une partie de mon cours d’histoire, il me faut un bon de retard. Je m’apprête à frapper à la porte, quand celle-ci s’ouvre.

En me retrouvant face à Cécile, j’ai un mouvement de recul. Concentrée sur son téléphone, la collectionneuse d’autographes ne s’en rend pas compte. En réalité, j’ai même l’impression qu’elle ne se rend pas compte de ma présence, et c’est tant mieux. Je vais entrer dans le bureau, quand une voix m’interpelle :

— Toi aussi, tu es fan de Mélodie ?

Mon rythme cardiaque s’accélère. Je me retourne, avant de bafouiller :

— Euh… oui.

C’est bien entendu Cécile qui me parle. Je ne peux m’empêcher de faire une dixième vérification. Châtain foncé. Mon rythme cardiaque redevient normal, tandis que je m’interroge : Pourquoi donc me pose-t-elle cette question ?

— Bien sûr, continue-t-elle, ça se voit que ce ne sont pas des vêtements de grands couturiers. Mais c’est plutôt bien imité, tu peux me croire, surtout l’écharpe turquoise. Tu l’as achetée au centre commercial ?

Je souris intérieurement : Cécile pense que j’ai copié le look de Mélodie GrandcÅ“ur ! Eh bien, non, c’est le mien. Et l’écharpe, c’est ma grand-mère qui me l’a tricotée. Je me demande si je dois le lui mentionner, quand je comprends que mon interlocutrice n’attend pas de réponse, qu’elle est seulement très à l’aise dans la pratique du monologue.

— Tu sais, elle et moi sommes de très bonnes amies, s’empresse-t-elle d’ajouter. D’ailleurs, je l’ai encore vue ce matin.

Je dois me retenir pour ne pas rire. Me raconter qu’elle l’a vue, d’accord, mais prétendre qu’elles sont proches, c’est un peu gros.

— Ben… je suis contente pour toi.

Je ne trouve rien d’autre à dire.

 

4

 

— Tu me fais marcher, Violette ? C’est une blague, c’est ça ?

Tout en entamant sa portion de bûche aux fruits rouges, ma meilleure amie m’adresse un regard sceptique. Si la situation avait été inversée – si c’était Bérénice qui m’avait raconté cette histoire –, j’aurais probablement réagi de manière identique.

— Non, malheureusement pas.

J’ai hésité avant d’aborder avec elle ce qu’il s’est passé ce matin. J’ai tourné et retourné la question jusqu’à la fin du repas. Finalement, j’ai choisi de lui en parler. Bérénice est toujours celle à qui je me confie quand j’ai un problème, et j’ai en elle une confiance totale.

Elle avale son dessert à petites cuillerées, comme plongée dans une intense réflexion. Il lui faut encore du temps pour digérer l’information.

J’en profite pour contempler le sapin installé au fond de la cafeteria. L’arbre synthétique croule sous des guirlandes et d’énormes boules argentées. Normalement, j’adore ce genre de détails, comme tous les aspects liés à Noël. Aujourd’hui, pourtant, je suis trop angoissée pour l’apprécier.

— D’accord, finit par lâcher Bérénice. De toute façon, tu n’as jamais su mentir.

Sur ce point, elle a raison. C’est d’ailleurs pourquoi je ne mens plus ; désormais, je me contente d’omettre certaines vérités. Elle me croit, et c’est l’essentiel.

— Ã€ moins que…

Bérénice ne complète pas sa phrase, mais je devine ce qui lui a traversé l’esprit, car j’ai moi-même envisagé cette possibilité : à moins que j’aie tout imaginé, que j’aie eu des hallucinations…

Nous sommes interrompues par un rire sonore, forcé, destiné à attirer l’attention de ceux présents. Comme la plupart, nous nous retournons vers sa source. Il s’agit encore de Cécile.

Bien sûr, je l’avais déjà remarquée auparavant, mais pas plus que ça. Elle est en terminale, alors que Bérénice et moi sommes en première. D’ordinaire, je ne fais que la croiser, l’apercevoir de loin ; mais depuis ce matin, c’est comme si je la voyais partout.

Cécile tient un morceau de papier à la main, une feuille qu’une autre fille avec de petites lunettes rondes examine avec intérêt.

Nous suivons sans peine leur conversation.

La fille à lunettes demande :

— Qu’est-ce qu’il y a d’écrit ? C’est vraiment sa signature ? Excuse-moi, mais c’est un gribouillis que j’aurais pu faire moi-même.

— Tu es en train de me traiter de menteuse ? s’offusque Cécile.

— Je n’aurais pas été jusque-là, lui réplique la fille à lunettes, mais si tu le dis…

Quant à moi, je murmure à l’oreille de Bérénice :

— La signature, je pense avoir signé « Mélodie Â», mais si ça se trouve, j’ai signé de mon propre nom.

Je l’ai fait presque machinalement, alors je n’en suis pas sûre à 100 %. Ce n’est qu’un détail, mais il devient soudain le centre de mes préoccupations.

Bérénice met la main sur son menton, semble réfléchir un instant, puis se lève. Avant même que je n’esquisse un geste pour la retenir, elle a déjà rejoint la table où discutent Cécile et ses copines. Qu’a-t-elle l’intention de faire ?

C’est au tour d’une fille avec un pull décoré de strass de parler.

— Moi, ma cousine a acheté un autographe de Mélodie sur eBay, explique-t-elle. Elle me l’a montré quand je suis allée chez elle le mois dernier. Je pourrais le voir ? Je voudrais comparer.

Cécile lui tend le papier, et Bérénice se rapproche de la fille adepte du strass pour observer la signature en même temps qu’elle. Cette dernière fait bientôt la moue.

— Désolée, mais ça n’a rien à voir. Peut-être… peut-être que tu as eu affaire à un sosie et qu’elle a préféré te signer un autographe plutôt que de te décevoir.

Je n’en reviens pas qu’elle ait visé si juste. Si seulement elle savait…

— Ta cousine s’est fait avoir, enchaîne Cécile, c’est tout. Et j’en ai la preuve irréfutable : j’ai aussi pris des photos avec mon smartphone.

Je ne m’en suis pas aperçue quand elle l’a fait, mais j’aurais pu m’en douter. Bérénice pourra me faire un compte-rendu sur ça également : elle regarde les photos sur le téléphone. Pendant que celui-ci passe dans une autre paire de mains, elle me fait un clin d’œil, avant de revenir s’asseoir à mes côtés.

— Pas de souci avec la signature, me certifie-t-elle, elle ne ressemble à rien, ni à « Violette Â», ni à « Mélodie Â». Ça t’aura au moins servi une fois d’avoir une écriture presque illisible, rajoute-t-elle sur un autre clin d’œil. Sinon, j’ai aussi vu les photos, et c’est rassurant.

— C’est-à-dire ?

— Nous avons la confirmation que tu n’as rien inventé. J’ai bien reconnu tes vêtements. Pas de doute, c’est toi, enfin toi avec la tête de Mélodie.

C’est vrai que c’est une façon d’envisager les choses : au moins, je ne suis pas en train de devenir folle, et c’est déjà ça.

Parmi le groupe de Cécile, je remarque une fille aux cheveux noirs coupés à la garçonne qui nous épie du coin de l’œil. Comme sa tête ne me dit rien, je me renseigne discrètement auprès de Bérénice. Elle m’indique qu’il s’agit d’Alice, la sœur de Victor.

— Tu es sûre ?

Grand, blond, l’allure sportive, Victor aurait donc un physique radicalement différent de celui de sa sœur.

— Certaine, me répond Bérénice.

Victor est le nouveau béguin de Bérénice. Il est arrivé dans notre lycée il y a environ un mois. Dès qu’elle l’a aperçu, elle est tombée sous son charme et a prévenu les autres filles qu’elle « se le réservait Â». À mon avis, elle n’a jamais eu de réelle concurrence ; l’intérêt qu’elle porte à Victor me semble réciproque.

Après un dernier regard dans notre direction, Alice quitte le réfectoire. Probablement a-t-elle juste été intriguée par le manège de Bérénice.

Selon l’horloge accrochée au mur, il nous reste vingt minutes avant la reprise des cours. Contrairement à Cécile, je n’ai aucune envie que l’ensemble des élèves soit au courant de ce que j’ai fait ce matin. Je propose donc à Bérénice que nous reparlions de ma mésaventure lorsque nous serons plus tranquilles.

— Et si on discutait de ce qu’on va faire pendant les vacances ? me suggère-t-elle. Alors, demain, journée devoirs. On essaie de tous les boucler pour être débarrassées.

Je hoche la tête en signe d’approbation. C’est un peu ambitieux, mais j’aime le principe. Ne pas avoir l’esprit préoccupé par le travail scolaire pendant la majorité des vacances me conviendrait très bien.

— Lundi, enchaîne Bérénice, journée shopping et achats des cadeaux de dernière minute. Il ne me reste plus beaucoup d’argent, mais je suis en train de négocier un petit crédit avec ma mère. Il devrait normalement être vite remboursé. Ma grand-mère m’offre toujours de l’argent pour Noël.

Elle n’a pas l’air de douter de son pouvoir de persuasion, et elle n’a pas tort. Bérénice maîtrise l’art de mettre tout le monde dans sa poche. Grâce à son aisance, son humour, sa personnalité, elle le fait avec une facilité déconcertante.

— Sinon, ce soir, termine-t-elle, il y a la patinoire. N’oublie pas que tu as promis de m’accompagner.

Je l’avais presque oublié, ou du moins j’aurais voulu. C’est la deuxième fois de ma vie que je monterai sur la glace. En me remémorant la première, je ne peux pas m’empêcher de grimacer. Pourquoi ai-je accepté ?

— Je suis sûre qu’on va s’amuser, tente de me rassurer Bérénice sur un ton guilleret.

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